vendredi 14 octobre 2011

Bises baltes
Riga & Vinius, 3-9 octobre 2011

Avec un peu plus de 700 000 habitants, Riga, la capitale de la Lettonie, est la plus grande des trois capitales baltes devant Vilnius et Tallinn respectivement. Lorsqu'on rejoint le centre-ville depuis l'aéroport, on passe à hauteur d'un grand centre commercial ultramoderne et du colossal chantier de la future bibliothèque, qui ressemble à une grande pyramide de verre et d'acier. Le caractère extrêmement moderne de la ville s'impose d'emblée au visiteur mais quelques kilomètres plus loin, au-delà du pont qui franchit la Gaudava, le fleuve qui coupe la ville en deux, l'illustre passé de Riga ressurgit dans toute sa splendeur. Vecriga, le vieux Riga, constitue le coeur historique de la ville et son principal pôle d'attraction. Les nombreux palais et bâtiments anciens - de style classique et néoclassique pour l'essentiel - s'y côtoient dans une réelle harmonie sur fond de rues pavées et de carillons lointains. A quelques minutes de l'imposante Cathédrale se dresse la célèbre Maison des Têtes Noires, devenue le symbole de la ville. Détruit pendant la guerre, cet édifice a été reconstruit au début des années 2000 et constitue un arrêt photo obligé pour tout touriste de passage. Tranchant avec la légèreté et le style flamboyant de la Maison des Têtes Noires, le bloc anthracite du Musée de l'Occupation (ci-dessous), situé à quelques mètres, a fait polémique en son temps pour sa rigueur architecturale mais s'impose aujourd'hui comme le témoin du douloureux passé de la Lettonie et de Riga en particulier. Ce musée retrace la double occupation qu'a connue le pays, nazie dans un premier temps (entre 1941 et 1945) puis soviétique (entre 1945 et 1991), et permet de mieux mesurer les souffrances qu'ont endurées les Lettons, dans les camps de concentration nazis ou les goulags russes. Entre les affiches de propagande, les unes des journaux de l'époque et les guenilles des déportés, on peut voir, dans une petite vitrine, de minuscules bouts de papier noircis de messages à peine lisibles rédigés à la hâte et jetés par les déportés hors du train qui les emmenait vers la mort. Combien de ces "petits papiers" seront parvenus à leur destinataire ? On ne le saura évidemment jamais. L'exposition, qui s'ouvre sur la reconstitution grandeur nature d'une baraque du goulag, se referme sur l'accession du pays à l'indépendance, en août 1991. 20 ans plus tard, Riga garde de nombreuses traces de son passé soviétique, à commencer par l'imposante statue qui se dresse à quelques mètres de là (ci-contre). Pourtant dédié à la gloire des fusiliers lettons, ce monument est encore aujourd'hui fortement décrié par une partie de la population qui aimerait bien le voir déboulonné. Autre témoin de la domination passée du grand frère soviétique, l'Académie des Sciences arbore fièrement ses lignes staliniennes au sud de la vieille ville. Pendant la période estivale, on peut monter au sommet de cette imposante bâtisse pour admirer le panorama sur la ville.

A quelques encablures du "gâteau d'anniversaire de Staline", se trouve le marché central ou "Central Tirgus". Occupant plusieurs hangars utilisés pendant la Première Guerre mondiale pour abriter des dirigeables (ci-dessous), ce marché haut en couleur et comptant parmi les plus importants d'Europe de l'Est permet de découvrir l'autre Riga, le Riga populaire, aux antipodes de celui de la vieille ville. Les innombrables étals débordent de produits en tous genres et bien que cette abondance n'ait rien de soviétique, les vendeuses qui attendent le chaland, babouchkas d'un autre temps, semblent elles bien d'époque (ci-dessus, à droite). Les hangars ont chacun leur spécialité - viande, poisson, légumes... - et communiquent entre eux, créant ainsi un dédale dans lequel se pressent les clients affairés. De par son envergure et son ambiance populaire, ce marché vaut vraiment le détour et constitue assurément l'un des lieux les plus dépaysants de la ville.

Comme toutes les villes touristiques, Riga propose une large palette de visites guidées, du plus classique - visite de la vieille ville, l'Art nouveau à Riga... - au plus original : le site www.traveloutthere.com propose par exemple un stage "AK47", qui promet des sensations fortes aux amateurs d'armes. Ma témérité ayant ses limites, j'opte plutôt pour le "Soviet Riga Tour" qui, comme son nom l'indique, couvre les hauts lieux de la présence soviétique à Riga jusqu'en 1991. Premier arrêt au Uzvaras Piemineklis, monument érigé par les Soviétiques après la guerre pour célébrer la victoire sur les Nazis. Mon guide m'explique que la vaste esplanade autour du monument est prise d'assaut tous les 9 mai, jour de la victoire, par les Russes de la ville, qui représentent plus de 40% de sa population. Cette forte présence est particulièrement sensible dans le "Moscow District", le quartier russe qui s'étend au sud du centre-ville, au-delà de l'Académie des Sciences. Un autre marché russe, le "Latgales Tirgus", propose un impressionnant bric-à-brac d'articles en tous genres : insignes de la Seconde Guerre mondiale, badges à l'effigie de Hitler, bustes de Lenine ou Staline, haches rouillées ou casques de soldats du IIIème Reich, pièces détachées de vélos ou de machines à coudre, télécommandes de marques de télévision disparues depuis longtemps... Là encore, le dépaysement est total et le saut dans le passé vraiment saisissant. Mon guide me conseille de ne pas prendre de photos compte tenu de l'origine douteuse de la plupart des articles proposés et je décide de suivre sa recommandation, aidé il est vrai par les mines patibulaires qui m'entourent. Quelques rues plus loin, une peinture murale invite le visiteur à découvrir les églises orthodoxes du quartier (ci-dessus). L'une des plus imposantes est la Church of Beheading of St John the Prophet (ci-contre), tellement photogénique en cette belle journée d'automne que mon guide lui-même décide de la prendre en photo ! A quelques pas de là, le cimetière d'Ivan permet également d'approcher au plus près l'âme russe. Jonchés de feuilles, les sentiers qui serpentent entre les tombes sont à peine visibles et il faut redoubler de prudence pour ne pas marcher sur Vassili Tsvetkov, qui repose là depuis plus de 30 ans (ci-dessous).


Dans le taxi qui me ramène à l'aéroport, mon chauffeur me vante les mérites de la ville et de sa région et évoque notamment Jurmala, la "Côte d'Azur lettone", qui déroule ses plages de sable fin à une vingtaine de kilomètres au nord de Riga. Je lui demande s'il aimerait visiter la France. Il me répond qu'il préfèrerait partir étudier aux Etats-Unis, où il a un oncle. L'époque soviétique a beau être révolue, les jeunes Lettons continuent de rêver d'Amérique...

Dès mon arrivée à l'aéroport de Vilnius, j'ai l'occasion de constater que la mauvaise réputation des chauffeurs de taxi lituaniens n'est pas usurpée. Celui que m'a envoyé l'hôtel se saisit rapidement de ma valise et se dirige vers son véhicule à grandes enjambées. Je lui cours après et ai tout juste le temps de m'engouffrer dans le taxi avant qu'il démarre sur les chapeaux de roue. A peine une dizaine de minutes plus tard, nous nous arrêtons déjà devant l'hôtel. Le chauffeur se retourne alors vers moi et me parle - ou plutôt éructe - pour la première fois : "Pay me? Hotel?" Je propose de payer directement l'hôtel, assez peu convaincu de son intention de me rendre la monnaie sur le billet de 200 litas (environ 60 euros) que je viens tout juste de retirer à un distributeur dans le hall de l'aéroport.

Mon hôtel se trouve dans le "business district", au nord du centre-ville. Les quelques tours qui le constituent (ci-dessous, en haut) contrastent avec les nombreuses églises parsemées dans Senamiestis, la vieille ville. Comme à Riga, les églises orthodoxes sont assez largement représentées et l'une des plus impressionnantes, avec ses dômes verts éclatants, est sans conteste l'Eglise de St Michel et St Constantin, construite en 1913 pour célébrer le 300ème anniversaire de la dynastie Romanov (ci-dessous, en bas).






























A quelques pas de là, on tombe sur la statue d'un petit garçon levant les yeux vers le ciel et serrant une galoche contre son coeur (ci-dessous). Inaugurée en 2007, cette sculpture fait référence à l'enfant décrit par Romain Gary dans son roman autobiographique, La Promesse de l'aube. L'écrivain est né à Vilnius en 1914, alors que la ville s'appelait Vilno et faisait encore partie de l'Empire russe. Roman Kacew, de son nom de naissance, viendra s'installer en France en 1928 et s'y fera un nom grâce à son oeuvre littéraire assez abondante. Un nom ou plutôt deux puisque Gary publiera également quatre ouvrages sous le pseudonyme d'Emile Ajar, ce qui lui permettra, au mépris des règles de cette vénérable institution, de recevoir à deux reprises le Prix Goncourt. L'écrivain se suicidera à Paris le 2 décembre 1980, ce qui n'a rien d'étonnant de la part de quelqu'un qui déclarait : "J'ai fait un pacte avec ce monsieur là-haut aux termes duquel je ne vieillirai jamais".



En bordure de Gedimino, la grande artère commerçante de la ville, se dresse un grand bâtiment gris clair qui a priori n'attire pas particulièrement le regard. En le longeant, on s'aperçoit que des noms - ceux de résistants fusillés après la guerre - sont gravés dans les murs (ci-dessous) et une plaque informe le passant qu'il se trouve devant l'ancien QG de la Gestapo et du KGB. Ce bâtiment abrite aujourd'hui le Musée des Victimes du Génocide, inauguré en 1992, juste après le départ des tanks russes de Vilnius. Au premier étage, différentes salles permettent de mieux comprendre la manière dont a fonctionné le KGB local entre le début des années 1950 et les années 1980 et dont cette organisation exerçait son emprise sur la population. De nombreux objets pour la plupart d'époque - matériel d'écoute, standards téléphoniques, tampons administratifs, formulaires en tous genres... - font revivre la période trouble de l'après-guerre, synonyme pour beaucoup de Lituaniens jugés trop "gênants" de surveillance constante, d'arrestations arbitraires, d'interrogatoires musclés, voire de torture. Les personnes arrêtées étaient emmenées au sous-sol pour être enfermées dans l'une des cellules de la sinistre prison, demeurée pratiquement en l'état depuis 1991 (ci-contre). Les détenus les plus récalcitrants pouvaient être enfermés dans une cellule d'isolement "classique" ou dans une cellule spéciale dont le sol était rempli d'eau glacée et où seule une minuscule plateforme de béton permettait au détenu, au prix d'un équilibre précaire, de se maintenir au sec. Toute perte d'équilibre se soldait inévitablement par un bain glacé, pour le plus grand plaisir sans doute des gardiens. Juste avant de ressortir de ce lieu maudit, je m'arrête devant ce qui ressemble à deux placards à balais, avec une petite planche fixée au mur. Ces minuscules espaces - 0,6 m² - étaient en fait utilisés pour y enfermer les nouveaux arrivants jusqu'à ce que leur dossier soit vérifié.

Las de tant d'horreurs, je me dirige vers la sortie, me fraye un passage au milieu d'un groupe de militaires lituaniens en visite et retrouve l'air libre avec un certain soulagement. Je remonte le boulevard Gedimino jusqu'à son extrémité est, ponctuée par la Cathédrale de Vilnius. Un peu plus loin, je pénètre dans Uzupis, le quartier bohême de la ville qui frappe surtout par ses nombreux bâtiments décrépis et tagués. Le quartier s'est auto-proclamé "République d'Uzupis" en 1998 et s'est même doté d'une Constitution que l'on peut consulter dans plusieurs langues sur un mur de la rue Paupio (ci-contre). Parmi les principes qui y sont inscrits, certains témoignent d'une certaine sagesse : "Le chien a le droit d'être chien" (principe 12), "L'homme a le droit de comprendre" et "L'homme a le droit de ne rien comprendre du tout" (principes 23 et 24), etc. Les Russes semblent particulièrement apprécier le quartier, comme en témoigne ce couple de jeunes mariés venu se faire photographier à côté du "pont des amoureux" (ci-contre). Sur la photo, la mariée est penchée en arrière mais pour le cliché suivant, la photographe va la faire se pencher encore plus. A l'heure qu'il est, elle est peut-être en train de nager dans la Vilnia, la petite rivière en contrebas...


Le château de Trakai, à une trentaine de kilomètres de Vilnius, vaut le détour en soi mais aussi et peut-être surtout pour les restaurants locaux. Le restaurant Senoji Kibininé est surtout connu pour ses "kibinay", espèces de petits chaussons fourrés à la viande ou aux légumes qui, accompagnés d'une boisson au cumin, s'avèrent effectivement délicieux. Le kvass, boisson fermentée à base de pain, me convainc beaucoup moins mais semble faire le bonheur de Taner, le collègue turc assis à ma table.

Le lendemain, dans le vol AirBaltic qui me ramène à Paris, je pense pêle-mêle à Steve Jobs, qui vient de nous quitter, à Patricia Kaas, dont un collègue biélorusse m'a confirmé qu'elle était toujours très populaire dans son pays, et à Richard Clayderman, qui a donné un concert à Vilnius pendant mon séjour. Le fait d'avoir échappé à cette prestation me met d'humeur festive et j'ai envie de commander une petite bouteille de vin pour fêter ça mais les prix m'en dissuadent rapidement. A la réflexion, je vais peut-être louer un iPad 2 pour regarder un film ou écouter de la musique. Une façon comme une autre de rendre hommage au cofondateur de la marque à la pomme.