vendredi 2 septembre 2011

La Haye, Rotterdam & Amsterdam
août 2011

Avec ses 500 000 habitants, La Haye est la troisième ville des Pays-Bas derrière Amsterdam et Rotterdam et est aussi la capitale administrative et politique du pays. Située à l'extrémité sud-ouest du Randstad, nom donné à la conurbation qui comprend également les villes d'Amsterdam, de Rotterdam et d'Utrecht, La Haye abrite le siège du gouvernement, le Parlement et la résidence royale. La Reine Beatrix, qui a fêté ses 30 ans de règne en 2010, a ses quartiers au palais Huis ten Bosch, dans le Haagse Bos ("bois de La Haye"). Elle est sortie indemne de l'attentat qui l'a visée à Apeldoorn, le 30 avril 2009, mais celui-ci, qui a fait par ailleurs quatre morts, a profondément choqué la société néerlandaise, habituée à une grande proximité avec la famille royale.

Qu'il arrive par la gare de Hollands Spoor (ci-dessous) ou par la gare centrale, le visiteur ne peut s'empêcher d'être frappé par les montagnes de vélos qui se dressent dans les espaces prévus à cet effet. Il suffit de marcher quelques minutes dans les rues de La Haye - comme de n'importe quelle grande ville du pays - pour constater que le vélo constitue assurément l'ennemi numéro un du piéton, loin devant la voiture et même le tramway. Le danger est d'autant plus grand que les pistes cyclables, beaucoup plus larges que celles proposées aux cyclistes français, sont souvent difficiles à distinguer de la chaussée. Le fait que le freinage se fasse le plus souvent, sur les vélos hollandais, par rétropédalage n'est guère de nature à rassurer le pauvre piéton peu habitué à une telle domination des deux-roues...

La Haye est connue pour ses institutions internationales mais aussi pour Madurodam, ville miniature qui reproduit les monuments typiques des Pays-Bas et qui tient son nom de George Maduro, lieutenant de l'armée néerlandaise mort au camp de concentration de Dachau. La ville compte par ailleurs de nombreux musées, dont le plus prestigieux, le Mauritshuis, constitue une étape incontournable pour tout amateur d'art. L'âge d'or de la peinture hollandaise y est largement représenté : les peintres les plus réputés, tels que Vermeer ou Rembrandt, y côtoient des noms moins connus du grand public. Ainsi, le magnifique Jeune fille à la perle de Vermeer est encadré par deux petits tableaux de Gerard Ter Bosch, spécialiste des scènes intimistes, tandis que Frans Hals, surtout connu pour ses portraits, Jan Steen ou encore Antoine van Dyck sont également présents. La Vue de Delft, autre tableau célèbre de Vermeer, est exposé en face de la Jeune fille à la perle, à laquelle il semble répondre. Dans les deux salles consacrées à Rembrandt, on peut notamment admirer La Leçon d'anatomie du docteur Tulp (ci-contre), tableau monumental qui contraste tant par son réalisme que par sa taille avec les autres oeuvres du maître exposées. Le tableau, exécuté par Rembrandt à l'âge de 26 ans à la demande du professeur d'anatomie Nicolas Tulp (au centre du tableau), a été sa première grosse commande et lui a permis d'établir sa réputation de portraitiste dans les années 1630. Les personnages sur la gauche semblent tous très attentifs mais certains regardent le bras du mort, ou le livre ouvert sur la droite, tandis que d'autres fixent le spectateur. Cette multiplicité des regards confère une réelle dynamique au tableau et contraste avec la posture relativement figée du professeur.

Moins connu que les Rembrandt ou Vermeer du musée, le tableau de Jacob van Campen, "Portrait of Constantijn Huygens and Susanna van Baerle" (ci-contre), n'en vaut pas moins le détour. Contrairement à la pratique de l'époque qui voulait que mari et femme fassent l'objet de deux portraits distincts, les deux époux sont ici représentés sur le même tableau et, qui plus est, de profil. La feuille de musique, en bas à gauche, symbolise l'harmonie du couple. L'impression étrange que laisse ce tableau tient au contraste entre le regard figé de l'homme et le regard sévère, presque réprobateur, que la femme semble nous lancer. La tension ainsi créée est telle qu'au bout de quelques minutes d'observation du tableau, on a l'impression que l'homme va lentement tourner la tête vers la gauche pour nous fixer à son tour...

En sortant du Mauritshuis, on ne peut s'empêcher de se demander combien d'autres chefs-d'oeuvre Vermeer aurait réalisés s'il n'était pas mort à l'âge prématuré de 43 ans...

Changement de ville, changement d'ambiance. A une vingtaine de kilomètres au sud de La Haye, Rotterdam, ville martyre de la Seconde Guerre mondiale, arbore aujourd'hui fièrement ses gratte-ciel et frappe d'emblée par son aspect futuriste. Son métro, ultra-moderne et spacieux (ci-contre), ferait passer le métro parisien pour une pièce de musée. La ville est résolument tournée vers l'avenir, comme le prouvent les nombreux chantiers en cours, à la gare centrale notamment, mais sait aussi mettre en valeur son patrimoine architectural. Ainsi, sur le Wilhelminakade, quai d'où partaient autrefois les navires à destination de New York, un ancien bâtiment de la Holland America Line a été reconverti pour accueillir le Nederlands Fotomuseum, l'un des plus prestigieux musées de la ville qui pourtant n'en manque pas. Le musée propose actuellement plusieurs expositions temporaires, dont New Topographics, qui permet de découvrir le travail de plusieurs photographes autour du thème des paysages modelés par l'homme. Il s'agit en fait de la reprise d'une exposition organisée aux Etats-Unis en 1975 mais la plupart des clichés n'ont pas vieilli et pourraient dater d'hier. C'est tout particulièrement le cas des photos de Stephen Shore - les seules en couleurs de l'exposition -, qui retranscrivent parfaitement l'ambiance de l'Amérique rurale des années 1970. Dans 2nd St East and South Main Street, Kalispell, Montana (1974) (ci-dessous, en haut), le temps semble s'être arrêté et les rares passants évoluent dans un décor de ville fantôme. Cette même impression de désolation et de solitude se retrouve dans la plupart des autres photos exposées, notamment dans Hollywood 1972, de Henry Wessel Jr (ci-dessous, en bas).




















A à peine une heure de train de La Haye, Amsterdam, la plus grande ville du pays avec environ 800 000 habitants (2 300 000 pour l'agglomération), est l'une des plus fascinantes métropoles au monde. La ville compte plusieurs musées d'envergure internationale - ce qui en soi n'a rien d'extraordinaire - mais l'ambiance qui y règne semble unique. La coexistence de différentes communautés que tout a priori semble opposer dans un cadre magnifique - malgré les clichés, il se dégage une vraie magie des fameux canaux et des hautes et étroites maisons en brique qui les bordent - y est sans doute pour beaucoup. Pour goûter à cet improbable mélange des genres, on peut par exemple se promener dans le quartier d'Oude Zijde, autour de l'Oude Kerk (vieille église). Point de ralliement de la communauté gay, la Warmoesstraat compte également de nombreuses auberges de jeunesse et des sex shops qui ne correspondent pas toujours aux idées reçues. Alors qu'ailleurs, ces boutiques sont le plus souvent discrètes, presque clandestines, ici elles s'affichent au grand jour et offrent parfois des variantes surprenantes : "The Most Vibrating Shop", par exemple (ci-dessous, en haut), s'apparente davantage à un magasin branché qu'à un sex shop, hissant les sex toys au rang d'objets de mode. Dans la vitrine du magasin d'en face, sex shop beaucoup plus "classique" en apparence (en bas), des peluches qui n'ont rien à voir avec celles de notre enfance illustre le goût des Néerlandais pour l'autodérision, même - surtout ? - dans le domaine du sexe.






















Les visiteurs qui s'engouffrent dans les ruelles adjacentes, épicentre du quartier "chaud" (le fameux "Red Light District"), le font généralement pour deux raisons : soit pour apercevoir les prostituées qui attendent le client dans les vitrines - il est d'ailleurs amusant d'en voir certains jeter un regard furtif, comme s'ils n'assumaient pas leur curiosité malsaine -, soit pour acheter les services de ces dames. Dans cette deuxième catégorie, je vois un groupe de cinq jeunes "ausculter" une fille sous toutes les coutures en se lançant des remarques en néerlandais. La municipalité a beau vanter les mérites de la prostitution organisée, je ressens une forte gêne devant ce spectacle et suis bien content de ne pas comprendre ce qu'ils se disent.

En marchant quelques minutes vers l'est, on arrive à Zeedijk, rue haute en couleur où pullulent les enseignes en chinois. Les restaurants, les boutiques des acupuncteurs et les supérettes asiatiques attirent autant l'oeil du visiteur que le temple He Hua (ci-contre), qui apparaît presque incongru dans cette rue étroite. Cette rue, déjà animée en temps normal, l'est encore plus ce jour-là du fait de la présence de drag queens et d'autres personnages costumés qui semblent tout droit sortis du carnaval de Venise (ci-dessous). C'est en fait le week-end des "Hartjesdagen" (journée des coeurs), événement annuel lors duquel les hommes se déguisent en femmes et inversement. A ce propos, il ne faut pas oublier qu'Amsterdam, ville "gay" par excellence, accueille chaque année l'une des plus importantes "Gay Pride" au monde, avec notamment au programme les "Jeux Olympiques des Drag Queens", qui voient les concurrent(e)s se mesurer au lancer de sac à main ou à la course en talons aiguilles... Etourdi par l'agitation ambiante, je poursuis mon chemin jusqu'à la place Nieuwmarkt, en bas de la rue Zeedijk, m'arrête quelques instants au marché aux puces qui s' y tient, puis, attiré par quelques notes de musique classique, longe le canal jusqu'à un mini-concert donné dans le cadre du Grachtenfestival (festival des canaux). Les "lumières rouges", pourtant toute proches, semblent déjà bien loin...


A quelques stations de tramway du centre-ville se dresse le célèbre Rijksmuseum, actuellement en travaux mais néanmoins ouvert aux visiteurs. Les quatre Vermeer que compte le musée - dont "La Laitière", qui orne sa façade (ci-dessous, en haut) -, sont évidemment incontournables, mais la vraie star du musée reste "La Ronde de nuit", le tableau monumental de Rembrandt (ci-dessous, en bas). Celui-ci occupe d'ailleurs la dernière salle dans le circuit de visite, comme pour mieux imposer sa splendeur. "La Ronde de nuit" continue encore aujourd'hui d'intriguer les critiques, du fait notamment de la présence inexpliquée de la jeune fille (qui, selon certains, serait une adulte naine) à gauche des deux principaux personnages. Les énigmes disséminées dans le tableau sont tellement nombreuses qu'elles ont inspiré un film au réalisateur britannique Peter Greenaway, dans lequel celui-ci avance quelques pistes d'explication. Toujours autour de Rembrandt, une exposition temporaire intitulée "Rembrandt & Degas" apprend aux néophytes que ce dernier a été fortement influencé par le maître hollandais, au point d'avoir lui-même exécuté quelques 40 autoportraits. Les fans de Rembrandt pourront compléter le circuit en se rendant à la Rembrandthuis, maison où a vécu le maître entre 1639 et 1660.






























Pour ma dernière soirée à La Haye, j'envisage d'aller voir Le Gamin au vélo, des frères Dardenne, dont le titre m'apparaît comme un amusant clin d'oeil au goût des Néerlandais pour le cyclisme, mais choisit finalement Children of War, un documentaire sur les enfants soldats en Ouganda. Le réalisateur a planté sa caméra dans un centre de réhabilitation du nord du pays, qui recueille d'anciennes recrues de Joseph Kony, chef de guerre illuminé qui sème la terreur depuis plus de 20 ans en Ouganda et dans le sud du Soudan. A la tête de la Lord's Resistance Army (LRA), Kony, poursuivi par la Cour pénale internationale, nourrit le projet fou de renverser le pouvoir ougandais pour installer un régime théocratique fondé sur les Dix Commandements. Son arme principale : des enfants endoctrinés et drogués, transformés en implacables machines à tuer. Dans le film, on suit quelques-uns des rescapés de la LRA dans leur parcours de réinsertion et on ne peut s'empêcher d'être frappé par le ton monocorde des enfants interrogés, qui semblent avoir perdu toute trace d'humanité et toute capacité à ressentir des émotions sous l'effet des atrocités qu'ils ont été obligés de commettre : 10 % d'entre eux auraient ainsi été contraints de tuer des proches.





Encore sous le choc de ce film bouleversant, je ressors du cinéma avec un sentiment d'impuissance, de tristesse et surtout de totale incompréhension devant une telle négation de la valeur de la vie humaine. Dans le hall de l'hôtel, je croise un couple qui se dispute, pour une raison forcément futile, et me dis que nous vivons décidément dans un drôle de monde.