8-12 juin 2011
Lorsqu'il arrive à Arlanda, le plus grand des trois aéroports de Stockholm, le voyageur est accueilli par les portraits géants de célébrités qui ont vu le jour dans la capitale suédoise : l'actrice Britt Ekland, le réalisateur Ingmar Bergman, le tennisman Bjorn Borg ou encore August Stringberg, le grand écrivain. Un peu plus loin, des ascenseurs ("hiss" en suédois) permettent d'accéder au Arlanda Express, le train à grande vitesse qui relie en 20 minutes l'aéroport au centre ville, distant d'environ 45 kilomètres. Avec des pointes à plus de 200 km/h, ce mini-TGV jaune et blanc, fort confortable au demeurant avec son intérieur spacieux et design, est aussi impressionnant qu'efficace et constitue une belle illustration du savoir-faire suédois en matière de transports urbains. La ville de Stockholm est d'ailleurs quadrillée par un réseau de transports en commun très dense, alliant métro ("Tunnelbana"), bus, tramway et ferries.
Drottninggatan, à deux pas du Parlement, est la principale rue piétonne de la ville. Les magasins de souvenirs, moins chers que ceux de Gamla Stan, y côtoient les restaurants asiatiques et les cafés branchés, dans un décor de bâtiments fatigués et poussiéreux. La place Sergels Torg, flanquée sur son côté sud par la Maison de la culture, ne peut que frapper par sa laideur architecturale, surtout après le cachet de la vieille ville. Datant des années 1960-70, les immeubles alignés de l'autre côté de la place accusent leur âge et font face à une grande colonne en béton qui ressemble à un cactus géant d'inspiration soviétique.
Fort heureusement, le reste de la ville fait vite oublier ces fautes de goût architecturales. Ainsi, le Musée national, à un quart d'heure à pied de Sergels Torg, affiche fièrement sa magnifique façade de style Renaissance. L'affiche qui orne celle-ci donne un petit air coquin au bâtiment, par ailleurs très sobre et conforme à la rigueur scandinave. Le Nationalmuseet propose en effet jusqu'en août une exposition sur la représentation du plaisir et du vice dans l'art depuis le 16ème siècle. Le tableau sur l'affiche s'intitule Kneeling Nun (la nonne agenouillée) et a été exécuté en 1791 par Martin van Veytens. Ce tableau a la particularité d'avoir deux faces, celle qui nous est montrée ici - légèrement floutée - étant la plus "osée". Le "recto" du tableau, que l'on peut voir dans son intégralité dans le cadre de l'exposition, est beaucoup plus "politiquement correct" puisqu'il montre la nonne de face, perdue dans ses pensées. Le double mérite de cette exposition est de nous pousser à nous interroger sur notre statut de voyeur face à l'art érotique et à l'art en général, et de décrire l'évolution au fil des siècles du regard de la société sur les plaisirs dits "défendus". En dehors de l'exposition, le Musée national contient également de nombreuses oeuvres remarquables, telles que Allegories on the Temptations of Youth, tableau d'Otto van Veen (1648, ci-dessous en haut) qui représente un jeune homme tiraillé entre la tentation du vice, symbolisé par Bacchus et Venus (à gauche), et le choix de la vertu, incarnée par Minerve (à droite). Death of a Hero, tableau monumental du peintre suédois Nils Forsberg (1888, ci-dessous en bas), attire également l'attention. On y voit un prêtre administrer l'extrême onction à un militaire sur son lit de mort, dans une atmosphère pesante renforcée par la présence d'une femme éplorée - la veuve ? - au premier plan. L'enfant sur la gauche, seul, contraste avec les officiers regroupés sur la droite tandis que les hommes alités à l'arrière-plan semblent attendre de prendre la place du mort, dans une implacable logique funèbre.
Mystère, vous avez dit mystère ? Il est difficile de parler de mystère à Stockholm sans penser immédiatement à Millénium, la saga policière mondialement connue. Son auteur, Stieg Larsson, était journaliste au magazine d'investigation Expo et ses articles sur les groupes néonazis lui ont valu des menaces de mort répétées. Certains n'ont donc pas hésité à faire le rapprochement au moment de sa mort prématurée, à l'âge de 51 ans, en 2004, soit sept mois avant la parution du premier tome de la saga, qui devait à terme en compter 10. Les circonstances du décès de Larsson sont peut-être inhabituelles - il a été terrassé par une crise cardiaque après avoir monté à pied les sept étages de l'immeuble où il travaillait, l'ascenseur étant en panne ce jour-là - mais de là à y voir un complot... Stieg Larsson n'imaginait sans doute pas le succès fulgurant qu'allait connaître son oeuvre posthume et faute d'avoir établi un testament en faveur d'Eva Gabrielsson, sa compagne de 30 ans qu'il n'a jamais épousée, c'est au père et au frère de l'écrivain disparu qu'est revenue la responsabilité de gérer sa fortune. Millénium raconte les aventures de Mikael Blomkvist, journaliste d'investigation (comme Larsson), et de sa partenaire Lisbeth Salander, superhackeuse douée de pouvoirs surnaturels et hantée par un lourd passé psychiatrique. Le Millennium Walking Tour, qui permet notamment d'apercevoir les immeubles où sont situés les appartements du héros (ci-dessus, en haut) et de l'héroïne (en bas) dans l'histoire, est évidemment un must pour tout fan qui se respecte mais constitue également une agréable balade dans les rues escarpées de Sodermalm, littéralement l'île du sud, quartier connu pour son ambiance bohème et branchée.
De l'autre côté de Slussen, la grande esplanade qui relie Södermalm à la vieille ville, un long bâtiment en briques de style art déco abrite Fotografiska, le musée de la photographie, qui a ouvert ses portes au printemps 2010. Les trois expositions temporaires qui y sont présentées témoignent de la grande varieté des approches de l'art photographique. Dans I want to live close to you, Jacob Fellander réinvente la photographie urbaine en proposant des clichés abstraits et oniriques de New York, Paris ou Hong Kong, tandis que dans Oil (ci-dessous, à droite), Edward Burtynsky attire notre attention sur les conséquences de nos choix énergétiques sur l'environnement. Dans The Unbearable Lightness of Being (à gauche), Jacqueline Hellmann fait pour sa part une utilisation beaucoup plus intimiste du médium photographique en proposant des clichés de Cizzi, une amie souffrant d'anorexie dont elle fige le beau visage triste dans une succession d'images à la fois émouvantes et dérangeantes.
Propices à la réflexion, ces trois expositions éveillent aussi des sentiments mêlés et suscitent des interrogations. Le visiteur ressort dès lors de Fotografiska avec plus de questions que de réponses et en apprécie d'autant plus les retrouvailles, à l'extérieur, avec le paysage de carte postale que forment, au loin, les îles de Gamla Stan, Skeppsholmen et Djurgarden.
Pour ma dernière soirée à Stockholm, je décide d'aller voir Melancholia, le dernier film de Lars von Trier, au Victoria, cinéma situé à deux pas de la place Medborgarplatsen, dont le nom semble avoir été inventé dans le seul but de décourager ceux qui, dans un moment de folie, auraient entrepris d'apprendre le suédois. Parmi les bandes-annonces qui précèdent le film figure celle de Potiche, le film de François Ozon. Aidé par les sous-titres, le public, habitué aux v.o. (les films ne sont jamais doublés en Suède), rit de bon coeur aux réparties de Luchini et de Depardieu, ce qui semble témoigner de son goût pour le cinéma français. L'affiche du film Des hommes et des dieux, aperçue peu de temps avant dans la vitrine d'un magasin de dvd, m'avait déjà laissé entrevoir le succès du "fransk film" au pays d'Ingmar Bergman... Il y a un peu de Bergman d'ailleurs dans le film de von Trier, qui pointe pêle-mêle les limites de la science, les pulsions auto-destructrices de l'homme et la difficulté qu'ont les êtres à communiquer. Tout un programme, qui n'est manifestement pas celui des nombreux promeneurs venus ce soir-là jouir des plaisirs de Gotgatan, la principale artère de Södermalm. Ils ont bien raison : n'en déplaise à Lars von Trier, la fin du monde peut bien attendre...
Au bout d'un séjour même de courte durée, force est de reconnaître que le surnom touristique de la ville - "la Capitale de la Scandinavie" - n'est en rien usurpé. Sous réserve de posséder quelques rudiments de suédois - savoir que "slips" veut dire "cravate" permettra d'éviter des situations embarrassantes ! - et de s'accoutumer aux heures pour le moins inhabituelles du lever et du coucher du soleil en été et en hiver (respectivement 3h30 et 15h) - le voyageur passera à n'en pas douter d'excellents moments dans cette ville débordante de vitalité dont on comprend mieux, au moment de la quitter, la fierté qu'elle peut inspirer à celles et ceux qui y sont nés.